La chapelle
Un monument du patrimoine français
Pablo Picasso, conscient du profond symbolisme du lieu et séduit par les rigoureuses proportions de l'austère bâtiment, choisit d’installer La Guerre et la Paix dans la chapelle du château de Vallauris, en 1959.
Ce choix de l’artiste s'inscrit dans un mouvement de redécouverte de l'art sacré, qui connaît un véritable engouement dans les années 1950 : Matisse achève la décoration de la chapelle du Rosaire à Vence ; Chagall, ainsi que Bonnard, Léger et Germaine Richier participent à la décoration de l'église du Plateau d'Assy, Notre-Dame-de-Toute-Grâce. Marc Chagall commence à la même époque de travailler à son monumental Message Biblique, qu'il destine d'abord à une autre chapelle vençoise avant d'en faire don à l'Etat, future collection du musée national à Nice.
L'édifice ancien contribue à donner à La Guerre et la Paix, avec ses évidentes références à l'art antique, voire à l'art rupestre, un ancrage sacré et universel. "Il ne fait pas très clair dans cette chapelle, déclare Pablo Picasso à Claude Roy, et je voudrais qu'on ne l'éclaire pas, que les visiteurs aient des bougies à la main, qu'ils se promènent le long des murs comme dans des grottes préhistoriques, découvrant les figures, que la lumière bouge sur ce que j'ai peint, une petite lumière de chandelle."
La chapelle de Vallauris avait été vendue, avec la maison abbatiale, au titre des biens nationaux en 1791 à J. Maurel et acquise par la ville en 1972. Elle n’a jamais été rendue au culte, elle a servi un temps de moulin à huile. La chapelle, ainsi que le château ancien prieuré de Vallauris, sont classés au titre de Monument historique depuis 1951.
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Un témoignage historique
Luc Thévenon, ancien conservateur du musée Masséna à Nice, présente l'édifice qui abrite aujourd'hui La Guerre et la Paix de Picasso :
« Aldebert, évêque d'Antibes et co-seigneur de ce lieu avec son frère aîné Guillaume Ganceran, cède son fief de Vallauris au monastère de Lérins par acte en date du 9 décembre 1038. Ce domaine s'accrut des possessions cédées en 1046 par Pierre Signier et son fils Guillaume au moment de leur prise d'habit à Lérins.
Les donations sont d'abord contestées par les ayants droit d'Aldebert, notamment par Foulques de Grasse qui les occupe à tel point que le pape Honorius II doit le menacer d'excommunication en 1124 pour obtenir une rétrocession en 1131. Les comtes de Provence confirment les droits de l'abbaye de Lérins plusieurs fois au XIIème siècle. En 1227, le père abbé avait autorisé Dame Aiceline à fonder une petite communauté de femmes en utilisant certains bâtiments dont la localisation reste très controversée. Au cours du XIIème siècle, l'abbaye fait construire un castel et sa chapelle pour la résidence du prieur, seigneur délégué du fief, aidé au moins de deux moines, imposés par les statuts de 1353. Si la chapelle a été conservée, le château actuel est une reconstruction de 1568 dont l'escalier Renaissance est classé.
La chapelle est un édifice à nef unique, ses élévations lui confèrent une monumentalité inhabituelle. Deux travées couvertes d'une voûte en berceau brisé s'articulent à une abside en cul-de-four par un large arc brisé. Les murs présentent un moyen appareil à la stéréométrie soignée mais avec des traces visibles de mortier. A l'extérieur, cet appareil comporte des éléments de nature géologique variée : moellons gris, roses, ocres qui donnent beaucoup de charme à l'édifice. Un simple bandeau de section carrée court à la limite murs-voûte sans retour sur des pilastres. Les baies, deux opposées par travées, sont soit encadrées de claveaux très ajustés (au sud), soit surmontées d'un linteau monolithe échancré en arc d'une technique beaucoup plus fruste. L'abside très haute présente un grand appareil plus régulier à la stéréotomie parfaite. En grande partie visible de l'intérieur du château (salle basse en sous-sol et premier étage avec fenêtre axiale) elle est confortée par une haute plinthe reposant sur un lit de blocs grossiers.
Aucune date ne précise la consécration de la chapelle : cet édifice a pu être construit après le milieu du XIIème siècle, puis remanié ou restauré début XIIIème siècle, date à laquelle on rattache la belle abside et les baies sud. Le portail sud, avec ses quatre consoles soignées mais purement géométriques, devrait être attribué à cette restauration.
L'église Sainte-Anne de Vallauris s'insère dans un important ensemble de constructions en Provence orientale. Elle est très proche de Sainte-Anne du Suquet et de la salle capitulaire de Saint-Honorat qui sont deux autres constructions lériniennes. Plus largement, il faut la situer dans un ample mouvement de rénovation, dernier élan de l'art roman dans cette région, dont témoignent avec des décalages d'une ou deux décennies antérieures ou postérieures, l'église de Saint-Cézaire et dans l'environnement montagnard, celles de Girs, de Gréolières-Hautes ou de Coursegoules notamment ».